
Ces 4 & 5 juin, sur la jolie barge de Petit Bain, se tenait la quatrième édition du Festival Post In Paris, premier festival parisien entièrement dédié au post-rock et dérivés du genre. Après deux ans de pandémie, 2022 voyait le retour d’une belle manifestation, visant à rassembler la communauté d’amateurs de musiques aventureuses de France et d’ailleurs et à promouvoir la scène locale. Cette année encore, alors que Totoromoon était pour la quatrième fois partenaire du festival, j’ai eu le plaisir de faire partie de l’équipe organisatrice et de son petit pôle communication. Une expérience renouvelée à bonheur, qui m’a permis de travailler au sein d’une équipe de bénévoles et de techniciens généreux et passionnés, et d’admirer son talent à conjuguer un esprit purement do it yourself et une qualité professionnelle remarquable. Un petit festival qui a prouvé, cette année plus que jamais dans le contexte encore compliqué que l’on sait, qu’il avait tout d’un grand.
Un public venu nombreux et 23 groupes venus de France et d’Espagne ont fait cette année le Post In Paris et ses 18h de marathon musical. Là où la passion, l’ardeur et le talent ont une nouvelle fois produit des merveilles.
Ayant décidé de laisser de côté, parmi les groupes programmés cette année, ceux qui étaient trop éloignés de ma sensibilité musicale (ces groupes que je dis « un peu trop fâchés pour moi », et que je préfère laisser le soin aux vrais amateurs d’apprécier à leur juste valeur et d’en faire les reports qui leur rende honneur), c’est sur le joli pont de Petit Bain, sous un soleil radieux, que commence pour moi cette première journée de festival.
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Frise Lumière (Musique expérimentale – Paris)
Un homme. Une basse. Des images. De la poésie. Tel est Frise Lumière, projet du talentueux Ludovic Gerst. Ancien membre du groupe de post-rock Hush Frequency, et expert dans l’art du clair-obscur audacieux, le musicien met ici son savoir-faire au service d’expérimentations sonores à la fois surprenantes et captivantes. Oeuvrant depuis 2018 à la recherche d’une épuration instrumentale poussée à l’extrême, il donnait le jour l’année dernière à « Bisou Genou », son premier album. Un album où le minimalisme de la musique fait se heurter, dans un fracas paradoxal, tendresse et violence.
En live, sous les regards attentifs d’un public déjà arrivé en nombre, bercé par les flots de la Seine et baigné par les rayons du soleil, l’artiste convie à un voyage introspectif aux confins de contrées intrigantes. Des mailloches puis des baguettes frappent le corps puis les cordes de la basse, tandis que s’électrise une petite cuillère en métal délicatement positionnée entre les cordes. Ici, à la faveur d’un remarquable travail sur le son, résonnent ainsi les pulsations régulières de rythmes et de vibrations, comme autant de manières de scander des vers façonnés à la fois de notes et de silences. Des notes et des silences lourds de sens, venant danser, rebondir, flotter et se heurter au bois de l’instrument, menant de l’hypnose légère à la transe éperdue. Sur le pont de Petit Bain, en sensibilité, en nuances saisissantes et en subtilité, Frise Lumière a su, avec un talent confirmé, envoûter.
A écouter :
Bandcamp : https://friselumiere.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/friselumiere/
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Carmen Sea (Rock expérimental / Noise – Paris)
Je descends ensuite rapidement dans la cale, alors que résonnent déjà les premières vibrations du violon des Parisiens de Carmen Sea, dont le disque n’a cessé tout l’hiver de tourner en boucle sur ma platine, et que j’attendais avec impatience de revoir en live, après une prestation qui m’avait laissé des traces tenaces il y a quelques mois à L’International.
Quatuor parisien féru aussi bien de rock progressif, de noise, de post-rock, de math rock, de metal et de musique industrielle, que de musique électronique et de musique classique, Carmen Sea est de ceux qui ont, chevillé au corps, la passion de l’expérimentation, et l’art de s’en nourrir pour créer des pièces qui, aussi hardies qu’elles soient, ne manquent jamais de cohésion et d’harmonie. Cet automne, Carmen Sea donnait le jour à « Hiss », un premier EP aussi inclassable qu’impétueux, fait de compositions instrumentales sur lesquelles viennent planer les vibrations intenses d’un violon oscillant de douceurs en stridences. De mariages mélodiques aussi inattendus qu’envoûtants, de rythmiques aussi légères que cinglantes, de tensions en relâchements, de délicatesses en déchaînements, Carmen Sea envoûte et surprend.
Sur scène, et bien plus encore dans ce beau cadre, la jeune formation parisienne transcende et magnifie sa musique mieux qu’aucune autre, faisant résonner devant un public captivé ses pièces audacieuses jouant à bonheur des contrastes. Là où affleure, doucement mais sûrement, un fond de rage doux-amer dans le tumulte des émotions autant que dans celui des instruments. Le son est à la fois clair, ample et profond, rendant honneur à la créativité et à la virtuosité de chacun des quatre musiciens, qui emportent avec brio l’auditoire de Petit Bain dans un tourbillon d’intensité allant crescendo pour finir dans une apothéose grandiose d’explosion de sons et de vibrations. Mon concert préféré de cette première journée. Superbe.
A écouter :
Bandcamp : https://carmensea.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/Carmenseamusic
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NORD (Post-Rock – Paris / Lille)
L’orage menaçant ayant forcé les groupes dont les concerts étaient initialement prévus sur le pont à se replier à l’abri, c’est dans la cantine que je remonte ensuite pour découvrir le set proposé par le quatuor Pariso-Lillois Nord.
Officiant dans un savoureux post-rock chanté depuis 2012, Nord, connu autrefois sous le nom de Light Deflection, a donné le jour en 2020 à son deuxième album. Suite directe de son prédécesseur, qui portait sur la perte et le deuil, « The Only Way To Reach The Surface » s’interroge sur les moyens de rebondir après une terrible épreuve. A la faveur d’une nouvelle énergie, portée par des sonorités plus extrêmes et plus escarpées, chaque pièce se concentre ici sur une forme de renaissance au monde, plus ardente et plus vive.
Pour cette nouvelle édition du Post In Paris, c’est sous une configuration inédite, plus acoustique, que Nord présente ses morceaux, laissant de côté sa rage pour déployer trente minutes d’un post-rock au chant à la fois habité et délicatement apaisé. Mettant en valeur ses textes et mélodies léchés, ses rythmes chaloupés et son talent pour la composition, le groupe fait ici redécouvrir ses pièces à bonheur. Elles sont à la fois émouvantes et joliment contrastées, et se déploient avec une élégance que le public de Petit Bain ne manque pas de savourer.
A écouter :
Bandcamp : https://nordnordnord.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/nordmusicband
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Cerf Boîteux (Post-Rock – Rennes)
Après « Alternative au Silence », un premier album paru il y a cinq ans, Cerf Boîteux donnait le jour en 2020 à « Adieu Tout », un opus déployant six longs titres et plus d’une heure d’intense musique sans paroles, tout en percussions hypnotiques et saccadées, en basse abrasive et en guitares ciselées.
De retour dans la cale, je me presse pour découvrir le groupe sur scène, n’ayant encore jamais eu l’occasion d’entendre sa musique autrement que sur disque. De distorsions en fulgurances, d’audaces en évidences, la formation rennaise, baptisée d’après le nom d’un chef indien, emporte en live, comme sur disque, au gré d’un maelström de sonorités singulières, tour à tour tourbillonnantes, surprenantes et vibrantes. Souvent dissonantes et inquiétantes. Parfois calmes et planantes. Toujours accrocheuses et intrigantes. Plaisantant de leur absence de paroles comme de l’absence de titres à ses morceaux, le groupe enchaîne les longues pièces de son dernier opus, dans un ordre qu’il fait passer pour aléatoire, sautant « III » pour passer de « I » et « II » à « IV ». J’avais prédit qu’aucun ennui ne serait à craindre dans la cale de Petit Bain ce samedi 4 juin en fin d’après-midi, Cerf Boîteux se faisant maître dans l’art de surprises infinies. Ma prédiction s’est en effet bel et bien réalisée.
A écouter :
Bandcamp : https://cerfboiteux.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/Cerf-Boiteux-1663489087249180/
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Nous Etions Une Armée (Noise / Spoken Word – Paris)
Je rêvais de découvrir en concert le jeune duo Nous Etions Une Armée depuis le jour où un de leurs morceaux était arrivé dans le fil d’actualité de ma page Facebook, me plongeant aussitôt dans un état de douce sidération. Rêve devenu réalité grâce aux formidables programmateurs du Post In Paris, que je remercie.
Nous Etions Une Armée est de ces rencontres qui réveillent. Qui saisissent, bouleversent et surprennent. Qui enchantent aussi, tout mélancolique et désenchanté que soit l’univers de ces deux jeunes artistes parisiens. Ici, entre tendresse et tension, entre grâce et puissance, il y a l’art de mêler musique et prose poétique. Langue parlée et langue chantée. L’art de mettre de manière inédite le français à l’honneur dans des compositions à la fois ambitieuses et sensibles, où guitares et boîtes à rythmes accompagnent une voix tantôt imperceptiblement murmurée, tantôt fiévreusement enragée. Là où se dessinent le spleen et l’espoir désabusé d’un ailleurs rêvé.
En live, alors que s’apprête à tonner l’orage et que les musiciens disent en riant s’appeler Godspeed You ! Black Emperor, se rencontrent avec talent une écriture léchée, une création musicale ciselée, et une interprétation, qu’elle soit vocale ou instrumentale, à la force émotionnelle portée à la fois discrètement et en majesté. Les légers frissons, qui s’insinuent l’air de rien dans chaque pore de la peau à mesure que se déploient les morceaux, sont chargés de ces milliers d’émotions. Elles sont complexes. Elles sont belles. Et elles viennent s’écraser en soi comme s’écrasent sur le sol de Petit Bain le micro et l’une des guitares de Nous Etions Une Armée, enfin dévoilé, à la fin de son set, sous son véritable nom. Bouleversant.
En attendant l’album, le duo sera à revoir sur la scène du Supersonic le 15 juillet. Et qu’il soit ainsi programmé le jour de mon anniversaire ne pourrait pas me faire plus plaisir. Je sais déjà où j’irai pleurer et vibrer le 15 juillet.
A écouter :
Bandcamp : https://nousetionsunearmee.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/nousetionsunearmee
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Quentin Sauvé (Folk – Laval)
Je reste dans la cantine pour être sûre de ne pas manquer une miette d’un set que j’attends également avec impatience, celui de Quentin Sauvé, dont j’aime la musique autant que les prestations scéniques toujours douces et émouvantes à souhait.
Artiste de la scène post-hardcore oeuvrant chez Bird In Row, As We Draw ou encore The Brutal Deceiver, et partageant régulièrement la scène avec Converge et Neurosis, Quentin Sauvé s’était déjà échappé il y a quelques années dans un projet folk plus personnel, Throw Me Off The Bridge. Mais au début de l’année 2019, c’est avec un projet plus personnel encore, à son nom, comme une mise à nu, qu’il est venu se dévoiler au sommet de sa sensibilité. Sans fioritures, de sa voix, de sa guitare et de quelques effets, il déploie dans « Whatever It Takes » des textes intimes et poignants, portés par des notes délicatement mélancoliques et habitées.
Devant le public concentré du Post In Paris, et alors qu’un nouvel album s’apprête à être dévoilé, il présente en quelques mots, puis déploie de manière aussi vibrante qu’épurée, ses compositions délicatement écorchées vives. Certaines sont connues, d’autres inédites. S’élève ainsi le sensible Reflexions, constat du temps qui passe sans que l’on s’en aperçoive, alors que l’on était accoudé à la fenêtre d’un van, et que les cheveux gris ont surgi. Ou encore, un peu plus tard, le poignant See You Soon, composé à partir d’un poème écrit pour sa grand-mère, et lu le jour de l’enterrement de celle-ci. Et, pour finir, le délicat et aérien Disappear, dédié à son frère Amaury. Un nouveau moment de grâce et de poésie, signé du talentueux Quentin Sauvé.
A écouter :
Bandcamp : https://quentinsauve.bandcamp.com/releases
Facebook : https://www.facebook.com/quentinsauvemusic
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Toundra (Post-Rock / Post-Metal – Madrid)
Après une performance restée gravée dans les mémoires lors de la soirée warm up du Post In Paris 2018 au Supersonic, les Espagnols de Toundra sont de retour cette année pour clore la première soirée du festival. Et après la douce prestation de Quentin Sauvé, suivie d’un détour au stand de sandwichs tenu avec entrain par une équipe de bénévoles bien décidés à braver la pluie et le vent, c’est avec leur concert que je choisis d’achever cette première belle journée.
Le quatuor madrilène, officiant depuis 2007 dans une mouvance où post-rock et post-metal se confondent habilement, vient ce soir présenter son nouvel album « Hex », fraîchement paru. En live, comme il le fait depuis toujours avec vigueur et enthousiasme, Toundra harangue le public et déchaîne ses éléments effrénés de bout en bout. Tandis que vont et viennent les têtes de l’auditoire, les corps des musiciens se balancent en rythme, investissant chaque centimètre carré des espaces qui leur sont dévolus, guitares tendues vers le ciel et poings levés. Ici, les guitares virevoltent. Frénétiques et abrasives. Là, la batterie s’envole. Percutante et puissante. S’il manque pour moi à Toundra ce je-ne-sais-quoi d’émotion qui sublime les sons, l’exécution est précise et l’énergie remarquable. Et c’est avec un concert haletant à souhait que se clôt la première journée de cette déjà réussie nouvelle édition du Post In Paris.
A écouter :
Bandcamp : https://toundra.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/toundra
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Mon live report de la deuxième journée du festival à retrouver très bientôt ici.
Eglantine / Totoromoon

Une réflexion sur “Totoromoon au Festival Post In Paris 2022 – Jour 1”