
Ces 26, 27 et 28 mai 2022 se tenait en Belgique la 16e édition du Dunk! Festival. Après deux années d’interruption, le festival le plus légendaire de la scène post-rock était enfin de retour, et c’était une fois de plus pour moi un honneur et un bonheur d’être invitée à y assister en tant que chroniqueuse.
Ce n’est plus à Zottegem mais à Gand que prenait place cette année le festival. Nouveau cadre, nouvelles salles, nouvelle organisation, de quoi déboussoler les habitués des dernières éditions, tombés amoureux comme moi de son organisation familiale, de la qualité de sa programmation et de ses deux belles scènes au coeur d’une verdoyante forêt. Et je dois avouer que cette petite nostalgie d’atmosphère de cocon chaleureux, hors du monde et hors du temps, qui y régnait alors, n’a pas vraiment réussi à me quitter le long de ces trois jours. Malgré tout, la programmation était si riche et si belle, l’équipe toujours si pleine de gentillesse, et le nouveau lieu, chargé d’histoire, si majestueux, que le Dunk! Festival est parvenu à conserver la place unique qu’il occupe dans mon coeur depuis 5 ans. Il l’a fait en l’emplissant une nouvelle fois d’une magie à nulle autre pareille, qui me vaut depuis 5 ans de dire de ce moment qu’il est sans conteste « mon moment préféré de l’année », et de constater à quel point il m’avait, ces deux dernières années, terriblement manqué.
Alors qu’ils étaient 36 en 2018 et 39 en 2019, ce sont pas moins de 54 groupes que cette édition 2022 accueillait. 54 groupes venus du monde entier, de la Belgique au Canada, en passant par les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Suisse, l’Angleterre, l’Autriche, ou encore l’Ukraine, la Suède et la France. 54 groupes et des festivaliers venus nombreux pour profiter d’un accueil à la qualité soignée, dont l’équipe du Dunk se fait forte depuis longtemps. Nous ne sommes plus dans la nature de Zottegem, mais dans l’imposant Kunstencentrum Vooruit de la jolie ville de Gand, un centre d’art logé dans un magnifique bâtiment centenaire témoin des aboutissements des luttes ouvrières belges, où se côtoient Art Nouveau et Art Déco. Ici, ce ne sont plus deux mais cinq scènes mises à disposition pour les concerts. Cinq scènes et autant de salles au charme singulier, venues pendant trois jours se charger des belles ondes musicales et humaines dont le Dunk! Festival a le secret.
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Where Mermaids Drown (Post-Rock – France)
C’est tout sourire dehors que je découvre la belle façade du centre d’art qui héberge le festival, en arrivant ce jeudi en début d’après-midi à Gand. Et ce sont également sous les sourires chaleureux de l’équipe d’accueil du festival que je me fais remettre mon bracelet à l’entrée du bâtiment. Munie d’un plan détaillant l’emplacement des cinq salles proposant des concerts aujourd’hui, je me dirige sans tarder vers les escaliers descendant à la concertzaal, la grande salle de concert dans laquelle se produiront chaque jour six groupes venus des quatre coins du globe.
Et c’est aux Français de Where Mermaids Drown qu’il revient l’honneur d’ouvrir cette nouvelle édition du festival. Neuvième date d’une tournée européenne de onze concerts, le set d’ouverture de cette première journée du Dunk! Festival a une saveur particulière pour le jeune quatuor lyonnais, dont le premier EP a vu le jour l’année dernière. Un mélange d’excitation, de bonheur et d’intense émotion flotte dans l’air. Excitation, bonheur et intense émotion que les musiciens déploient en musique de la plus belle des manières, le long de pièces prenant en live une puissance et une épaisseur particulière. Si je regrette le réglage du son peut-être trop appuyé sur la basse et la grosse caisse, venant par moments noyer les mélodies de guitares et les tintements de cymbales, le soin et la ferveur portés à l’exécution de chacun des morceaux, magnifiés de jeux de lumière de toute beauté, emportent l’adhésion. De volutes aériennes en denses murs de sons, à la faveur de progressions habilement construites, de savoureux reliefs et de saisissantes explosions, Where Mermaids Drown captive un auditoire comblé d’emblée.
Une entrée en matière plus que réussie pour ce retour en fanfare du Dunk! Festival.

A écouter :
Bandcamp : https://wheremermaidsdrown.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/wheremermaidsdrown/
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Cecilia::Eyes (Shoegaze / Post-Rock – Belgique)
Après une courte exploration de la terrasse au bord de l’eau, des stands de merchandising, du joli café Art Déco Viernulvier et des autres étages du bâtiment, je reviens dans cette belle salle pour m’envelopper du shoegaze délicieux des Belges de Cecilia::Eyes, que j’écoute depuis près de dix ans mais que je n’avais encore jamais eu la chance d’entendre en live. Cette chance de découvrir sur scène un groupe dont j’aime la musique depuis longtemps, m’est une fois de plus donnée par mon festival préféré.
Les pièces oniriques aux envolées éthérées et aux voix vaporeuses à souhait de la formation belge viennent emplir l’espace à la fois en douceur et en majesté. Là où les notes scintillent comme les spots magnifiquement éblouissants de la concertzaal, qui viennent dessiner des cieux étoilés sur les hauts plafonds et les murs boisés. Les guitares réverbérées s’étirent avec élégance, tandis que la batterie fait retentir des rythmes délicatement chaloupés. Les cinq musiciens s’attachent ainsi avec talent à déployer dans l’atmosphère une lente et langoureuse mélancolie, au fil d’un set à l’immersion parfaite.
A écouter :
Bandcamp : https://ceciliaeyes.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/ceciliaeyesadmin
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BRUIT ≤ (Post-Rock – France)
Sans tarder, je remonte les escaliers pour me dirigier vers la balzaal, élégante salle de bal située quelques étages plus haut, qui accueillera de son côté cinq concerts chaque jour, en alternance avec ceux de la concertzaal. Ici, s’apprête à se tenir le concert de BRUIT ≤. BRUIT ≤ ou le coup de foudre que j’ai eu ce matin d’octobre 2018 en découvrant la première captation live de The Fall, larmes venues me rouler sur les joues, vertige venu me saisir. Immédiatement. Irrépressiblement. Depuis, la musique de BRUIT ≤ n’en finit pas de m’enchanter et m’habiter. Et c’est avec un immense bonheur que je retrouvais aujourd’hui sur scène le quatuor français.
Toujours plus originales et intenses. Toujours plus émouvantes. Toujours plus époustouflantes d’audace et d’élégance. Telles sont les compositions de BRUIT ≤. Née de la volonté de renouer avec un processus de création sans contraintes, la musique de la formation toulousaine se situe là où post-rock, musique électronique et orchestrations néo-classiques font fi de leurs frontières pour se marier dans des pièces d’une incomparable richesse créative. D’un courant à l’autre. Classique, folk, rock, électronique. D’un instrument à l’autre. Guitare acoustique, guitare électrique, basse, violoncelle, violons, cuivres, percussions. D’un son à l’autre. Aérien, doux, caressant. Dense, vibrant, tonitruant.
Sur scène, à la faveur de vagues sonores qui bercent puis bouleversent, et d’une exécution fiévreuse et parfaitement maîtrisée, BRUIT ≤ déploie ses pièces en majesté. La guitare, vibrante, s’enveloppe tour à tour du violon et de la basse, tandis que le violoncelle virevolte sur l’ensemble, dans le déchaînement d’une batterie à la fois puissante et élégante. Bien que je regrette de nouveau les réglages d’un son trop appuyé sur les basses, venant noyer des mélodies que je connais pourtant par coeur mais que j’ai, ici, du mal à saisir, la performance de BRUIT ≤ réussit sans faillir à venir brillamment captiver. Par le saisissement de son intensité, elle vient ensorceler autant qu’émerveiller.
Les musiciens, très émus, remercient le Dunk! Festival, disant que c’est un rêve de longue date réalisé pour eux que d’y participer. Ils forment des coeurs avec leurs mains. Ils applaudissent un auditoire qui les a écoutés religieusement, et qui les applaudit à présent à tout rompre. Un très beau moment.

A écouter :
Bandcamp : https://bruitofficial.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/bruitofficial
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Hubris (Post-Rock / Suisse)
A peine le temps de me remettre de mes émotions, je reprends sans faiblir les escalier pour aller écouter la formation suisse Hubris, dont le concert vient de commencer.
Le quatuor fribourgeois délivre un post-rock fait de longues pièces instrumentales oscillant de minimalisme en densité, travaillées en force et en délicatesse, et savemment exécutées. Ici, les mélodies envoûtent et les arpèges font voyager, par la force de guitares atmopshériques aux sonorités toujours finement ciselées, joliment mariées à une basse hypnotique et à une batterie énergique, çà et là accompagnées de quelques beats et nappes électroniques. Un ensemble accrocheur, où calme et intensité sont habilement dosés. Enthousiasmant et lumineux à souhait.
A écouter :
Bandcamp : https://hubrisband.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/Hubrisband
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Mary Lattimore (Néo-classique / Harpe – Etats-Unis)
J’attendais avec impatience de découvrir la theaterzaal, la salle du théâtre. Et c’est en effet le regard émerveillé que j’y pénètre ensuite. Offrant de longues rangées de fauteuils tout de velours rouge vêtus, plongeant sur une belle scène aux encadrures dorées, elle se révèle plus impressionnante encore que dans les images fabriquées par mon imagination à partir des quelques photographies que j’en avais vues.
Ici, s’apprête à jouer la harpiste américaine Mary Lattimore. Son imposante et belle harpe trône sur la scène vide, tandis que le public prend possession des lieux dans un silence religieux. La musicienne s’installe quelques minutes plus tard, ne cachant pas l’émotion qui vient la saisir dès son entrée. Elle se dit honorée et heureuse d’être ici, donnant ce concert à l’issue de quelques jours de résidence à Gand, durant lesquels elle a composé certains des morceaux qu’elle jouera ce soir en public pour la première fois. Avant de commencer à jouer, elle dit également être heureuse d’avoir confié sa harpe à un luthier juste avant le concert, pour lui refaire une beauté et nous offrir un moment musical qu’elle espère à la mesure du bonheur qu’elle a à jouer ici ce soir. Emue et émouvante, elle bouleverse avec tendresse avant même d’avoir commencé à jouer. Puis, ses mains gracieuses s’envolent sur les cordes de son instrument, comme les notes s’envolent dans l’air de ce majestueux théâtre où le son est à la fois clair et enveloppant. Les mouvements des mains, comme les sons des notes, sont à la fois légers, précis et élégants. Munie seulement d’un petit appareil sur lequel elle enregistre ses boucles de notes et les fait se superposer, elle enchante, sans fioritures, aussi simplement que magnifiquement.
Un film, réalisé par un cinéaste de ses amis et projeté sur l’immense écran de fond de scène, accompagne chaque pièce. Entre chacune, la musicienne s’arrête pour sourire à l’audience. Savourer le moment. Regarder les images des paysages couleurs pastels qui défilent derrière elle. Dire quelques mots. Elle décrit la station service du bord de l’océan, qui lui a inspiré le morceau qu’elle jouera au milieu du set. Elle évoque les violences qui lui fendent le coeur dans son pays. Puis, elle reprend, faisant de ses mains raffinées résonner les mélodies à la fois lumineuses, hypnotiques et déchirantes de son instrument. Somptueux.

A écouter :
Bandcamp : https://marylattimoreharpist.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/harpistmarylattimore
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Ranges (Post-Rock – Etats-Unis)
Il me faut quelques instants pour sortir de l’envoûtement suscité en moi par le concert de Mary Lattimore, et par le lieu sublime dans lequel il a eu lieu. La descente des escaliers me reconduisant vers la concertzaal m’offre cette petite parenthèse de temps dont j’ai besoin avant le prochain concert auquel j’ai prévu d’assister.
Et c’est avec plaisir que je retrouve Ranges sous les beaux éclairages de la grande salle de concert. Quintet américain né il y a près de dix ans dans le Montana, Ranges est de ceux qui excellent dans l’art d’un post-rock instrumental aux nuances aussi somptueuses que variées. En furie et en délicatesse, en chaleur et en gravité, en lumière et en obscurité. Chez Ranges, il y a les vastes étendues voyageuses, il y a l’ascension vers les sommets. Les guitares atmosphériques, les percussions ardentes, les mélodies ciselées.
Sur scène en ce début de soirée, le groupe déploie avec fougue ses compositions aux tonalités à la fois émouvantes et sombres, et aux constructions soignées, tout en reliefs escarpés. Les notes de guitares, qu’elles soient claires, délicatement réverbérées, ou intensément saturées, s’envolent dans l’atmosphère. Les rythmes dansent au gré du tintement passionné des toms et des cymbales. Forts d’une élégance dosant admirablement à la fois sa légèreté et ses montées en intensité, les quatre musiciens font ici s’élever majestueusement leurs pièces sensibles et vibrantes. Un concert riche de merveilleuses émotions, magnifié une fois de plus par les somptueux jeux de lumière dont la concertzaal a le secret.

A écouter :
Bandcamp : https://ranges.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/rangesmusic
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Astodan (Post-Rock – Belgique)
A peine les dernières vibrations de guitares dissipées dans l’atmosphère, je remonte sans attendre les escaliers pour me diriger de nouveau vers la balzaal, où commence le concert des Belges d’Astodan.
J’avais découvert Astodan en 2018, à l’occasion de la sortie de son premier album et de son concert sur la jolie scène de la forêt du Dunk! Festival. Quatre ans et trois albums plus tard, c’est avec plaisir que je retrouve ce soir le sextet bruxellois. Si je savais qu’Astodan maniait l’art d’un post rock instrumental où seules parlent les guitares avec talent, je n’avais pas encore eu le temps d’écouter son nouvel album, fraîchement paru, et j’ignorais donc qu’il avait récemment incorporé du chant à ses compositions. Et qu’il l’avait fait avec non moins de talent. Surprise saisissante que d’entendre s’élever une voix claire, légèrement réverbérée, tour à tour murmurée et intensément habitée. Sur scène, alors que résonne la voix et que la lumière rougeoit, les vibrations des cordes de la basse et des guitares, à la fois atmosphériques et puissantes, se marient à une batterie percutante, révélant des compositions riches de reliefs à la fois escarpés, denses et habilement ciselés. Intense, singulier et envoûtant à souhait, l’un des plus captivants concerts de cette journée.
« Evora », dernier album du groupe, est disponible depuis le 6 mai via Dunk! Records. Je me suis précipitée au stand de merchandising du groupe pour me le procurer après le concert, et je vous le recommande absolument.
A écouter :
Bandcamp : https://astodan.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/astodanband
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T.E. Morris & Jo Quail (Musique électronique / Musique expérimentale – Angleterre)
Un délicieux dîner libanais dans le quartier plus tard, et me voici de retour dans la salle de bal, pour le dernier concert auquel j’ai choisi d’assister aujourd’hui. Il n’est autre que celui du duo composé par Tom Morris et Jo Quail, que j’attendais de découvrir sur scène avec impatience.
C’est à la faveur de l’annulation en 2020 du festival Forgotten Futures que la collaboration entre le leader d’Her Name Is Calla et la violoncelliste Jo Quail, initialement prévue sous forme de performance en direct durant le festival, a finalement pris la forme d’un disque, réalisé à distance depuis leurs lieux de résidences respectifs. Mais ce n’est pas seulement l’unique et fascinant « For The Benefit Of All » que les deux artistes sont venus interpréter au Dunk! Festival aujourd’hui, c’est une performance inédite, réinventée pour l’occasion. Là où se répondent puis se mêlent le clavier, les nappes et beats électroniques du premier, et les vibrations de violoncelle de la seconde, dans de longues pièces en partie improvisées. De minimalisme extrême en audacieuse complexité, de mélodies en dissonances, au gré de mille et une nuances, plages d’ambient méditatives s’étirant à loisir, expérimentations néo-classiques envoûtantes et rythmes électroniques venant sans prévenir déchirer l’espace sonore en majesté se succèdent ainsi sous les yeux d’un public attentif, se laissant surprendre et saisir. Quand des yeux grand ouverts se ferment quelques instants, pour savourer la quiétude du moment, puis pour mieux s’ouvrir et apprécier le spectacle singulier en train de se produire.
A mi-parcours, Tom Morris raconte sa rencontre avec Jo Quail. Le peu de fois où ils ont eu l’occasion de se voir pour de vrai, la frustration dans leurs envies d’immédiateté dans la création, leur collaboration à distance, forcée par les événements, mais fructueuse. Et leur bonheur d’être enfin ici aujourd’hui. En sensibilité, en singularité et en beauté, une expérience musicale intrigante, à la fois discrète et percutante, et une très belle manière de clôturer cette première journée.
A écouter :
Bandcamp : https://temorris.bandcamp.com/album/for-the-benefit-of-all
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Mes live reports des deuxième et troisième journées du festival à retrouver ici très bientôt.
Eglantine / Totoromoon
