
Il fait toujours beau et clair à Gand, en cette deuxième journée de festival. 17 groupes sont attendus aujourd’hui sur les quatre principales scènes du Kunstencentrum Vooruit. Comme les précédentes années, et plus encore ici puisque la richesse de la programmation et le chevauchement de certains sets ne le permettent pas, je décide de ne pas tenter d’assister à tous les concerts, mais de me concentrer sur ceux qui m’intéressent le plus et de les savourer autant que possible en intégralité, afin de ne pas avoir à me presser d’une scène à l’autre, de ne pas accumuler de la fatigue dans les hauts escaliers du bâtiment, et de réserver mes tympans pour des moments de délectation musicale totale.
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It Was A Good Dream (Post-Rock – Etats-Unis)
C’est avec le concert d’It Was A Good Dream que j’ai le plaisir de commencer cette deuxième journée. Et, alors que je m’attendais à voir un duo sur scène, c’est au nombre de quatre que les musiciens de Boston se présentent devant le public déjà très nombreux dans la concertzaal en ce début d’après-midi.
En 2018, par les bons soins de deux amis de longue date, naissait It Was A Good Dream. A l’époque Chris Anthony et Alex Glover s’entraînaient à composer ensemble, sans véritable objectif, mais rapidement le projet a pris pour eux une tournure bien plus ambitieuse qu’attendu. Bien plus ambitieuse qu’attendu, c’est aussi ainsi qu’est apparue la prestation de la formation américaine sur la scène du Dunk! Festival. Surprenant tout l’auditoire par son amplitude sonore et son intensité.
Un violon ouvre la danse, suivi de près par des guitares vibrantes et une batterie virevoltante. J’ai presque du mal à reconnaître les pièces extraites de l’album que j’ai pourtant chroniqué il y a quelques années, tant la puissance sonore, ici parfaitement équilibrée et n’oubliant aucun des instruments, me saisit d’emblée. Cet album à l’atmosphère particulière, enregistré dans un temple maçonnique centenaire du Nord du Massachussets, m’avait marquée par le caractère singulier du lieu et de ses grincements et cliquetis imprévus s’invitant au mariage des claviers, guitares, percussions et saxophone du groupe. Mais la richesse de la palette sonore, déjà présente sur disque, est décuplée ici. Le son est aussi clair que merveilleusement ample. Le soin porté à la fois aux effets de guitares et au déploiement en finesse des mélodies est remarquable. Le violon, bien plus présent, plane au-dessus des morceaux, leur conférant une force émotionnelle sans pareille. Et la passion qui émane de l’exécution de l’ensemble gagne le public tout entier.
Un concert captivant, qui restera pour moi parmi les plus beaux du festival.

A écouter :
Bandcamp : https://itwasagooddream.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/iwagd
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Turpentine Valley (Post-Metal – Belgique)
C’est le coeur chargé des milliers d’émotions nées du concert d’It Was A Good Dream que je remonte les escaliers pour me rendre à la balzaal où s’apprêtent à jouer les Belges de Turpentine Valley.
A la faveur d’une exécution parfaitement maîtrisée, le trio déploie avec ferveur les pièces réussies de son nouvel album fraîchement paru. Seuls chantent ici les instruments, dans un post-metal instrumental dense et enlevé. Les corps des musiciens se balancent en rythme, poings tendus et guitares régulièrement levées vers le ciel, tandis que le public savoure un set d’une belle intensité.
« ALDER » est disponible depuis le 25 février via Dunk! Records, A Thousand Arms et Ripcord Records.
A écouter :
Bandcamp : https://turpentinevalley.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/turpentinevalley/
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Fågelle (Musique expérimentale – Suède)
Je prends ensuite le temps d’arpenter l’imposant bâtiment pour me diriger tranquillement vers la salle la plus en hauteur, que je ne connais pas encore. L’arrivée devant la domzaal, ou salle de la cathédrale, propose en effet une vue plongeante sur Saint-Bavon, la superbe cathédrale de Gand. Un joli petit bar en bois accueille ici les festivaliers, installés entre les agrès de gymnastique rappelant l’utilisation originelle du lieu.
C’est ici que se tiendra quelques minutes plus tard le concert de la talentueuse artiste suédoise Klara Andersson, alias Fågelle. Une artiste que je suis à la fois heureuse et curieuse de découvrir en live, tant son dernier single, Ingenting, paru quelques semaines plus tôt, m’a fascinée.
Seule sur scène, éclairée de spots à la lumière diffuse, passant du rouge, au vert, au bleu, conférant au lieu une atmosphère emprunte de mystère, la musicienne au teint de porcelaine et à la longue chevelure blonde impressionne autant qu’elle ensorcelle. Ingenting ouvre le set. Plaidoyer pour la paix du corps et des émotions, il est aussi vibrant d’intimité qu’hurlant de puissance, et captive immédiatement l’auditoire sagement assis sur le sombre parquet. Cette paix, la musicienne l’appelle de sa voix à la fois fragile et passionnée, déchirant des nappes sonores brutes et brumeuses, riches de mille détails foisonnants. S’ensuivent des pièces aux expérimentations sonores surprenantes, tantôt purement instrumentales, tantôt vocales, qui troublent autant qu’elles saisissent. Si j’ai une préférence pour les pièces chantées, le set se fait malgré tout fort de bout en bout d’une superbe beauté lyrique, à la fois sauvage et habitée.
A écouter :
Bandcamp : https://fagelle.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/fagelle
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PG. Lost (Post-Rock / Post-Metal – Suède)
Une longue descente d’escaliers plus tard, et me voici de retour dans la concertzaal. J’arbore ici fièrement mon tote bag PG. Lost, acheté quelques heures plus tôt et tout sourire dehors au stand de merchandising du groupe, à celui qui n’est autre que l’un de mes guitaristes favoris, Mattias Bhatt.
Ce même Mattias Bhatt qui oeuvre depuis plus de 15 ans avec Kristian Karlsson, Martin Hjertstedt et Gustav Almberg au sein de PG. Lost, un groupe qui, au fil de sa carrière, a su se renouveler, n’en finissant pas de captiver et d’enchanter. Sans jamais se targuer de révolutionner le genre, le quatuor a toujours su en extraire ce qu’il en est de plus intense et de plus beau, le mariant à quelques touches de post-metal et de shoegaze, le parsemant de souffles de voix enchanteresses, et l’exécutant à la perfection. Ainsi, deux EP, cinq albums et un split avec les post-rockeurs chinois de Wang Wen plus tard, mon amour pour ces quatre prodiges du post-rock suédois est intact.
J’ai donc du mal à cacher mon excitation de découvrir sur scène pour la première fois l’un des groupes de post-rock les plus chers à mon coeur, groupe dont le premier album « It’s Not Me It’s You! » demeure depuis près de 15 ans l’un de mes albums préférés de tous les temps. En effet, chaque fois que PG. Lost est venu jouer à Paris, une contrainte inattendue et malvenue m’a empêchée de pouvoir me rendre à leur concert. Et c’est comme si ce soir 15 années d’une attente infinie s’achevaient enfin.
Sur scène, d’emblée, PG. Lost prouve qu’il excelle dans l’art de manier un son puissant et profond, le long de morceaux ciselés à souhait et exécutés avec une ardeur inégalée. Tandis que se détache par endroits une voix aiguë en forme de nappe venue du lointain, les claviers se font aussi brumeux qu’éthérés, les riffs de guitares aussi denses qu’aériens, les rythmes aussi frénétiques qu’apaisés.
Et, bien que je trouve une fois de plus les basses et la grosse caisse trop appuyées, noyant par moment les mélodies de morceaux que j’adore mais que j’ai ici du mal à distinguer, l’ensemble, riche d’une intensité dramatique parfaite, mène la catharsis à son plus haut sommet, et parvient irrépressiblement à emporter. Là où irradie avec force une lumière qui parvient toujours à percer l’obscurité. Un très beau set.

A écouter :
Bandcamp : https://pglost.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/pglost
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Bersarin Quartett (Musique électronique / Musique expérimentale – Allemagne)
Une pause pour dîner dehors plus tard, et me voici de retour dans ma salle préférée du Kunstencentrum Vooruit, la theaterzaal. La scène vide se prépare à accueillir Bersarin Quartett, projet solo de Thomas Bücker.
En live, c’est de trois autres musiciens que s’entoure le compositeur et multi-instrumentiste allemand pour donner forme à ses compositions. Des compositions qu’il qualifie d’ « imaginary fictionnal soundtracks », centrées sur le travail de textures sonores peignant des fresques cinématographiques à la musique à la fois minimaliste et joliment imagée. Celles-ci sont faites de nappes de claviers allant de l’ambient au trip-hop, de vibrations atmosphériques de guitares et de percussions langoureusement jazzy. Tantôt tous les quatre sagement assis, concentrés sur leurs instruments, tantôt debout, se regardant attentivement, les musiciens déploient des paysages sonores aux contours évanescents, offrant à chacun la capacité de laisser libre cours aux extravagances de son imagination. Les notes de clavier me rappellent parfois l’atmosphère ouatée de The Album Leaf, que j’aime tant, tandis que l’ensemble berce doucement.
A écouter :
Bandcamp : https://bersarinquartett.bandcamp.com/
Facebook : https://www.facebook.com/bersarinquartett/
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Big Brave (Musique expérimentale – Québec)
Le concert de Big Brave, se chevauchant avec celui de Bersarin Quartett, est déjà commencé depuis un moment lorsque j’arrive à la balzaal. Je ne pourrai malheureusement en savourer que les vingt dernières minutes, mais j’y tiens énormément.
Il y a quelques années, j’avais été envoûtée par un concert de Big Brave à Paris, à l’Espace B. J’y découvrais ce soir-là pour la première fois la musique du trio québecois. Et c’est à bonheur que je retrouve ce soir, à peine entrée dans la salle de bal, l’atmosphère singulière qui m’avait enveloppée alors pour ne plus me lâcher. Bien que l’univers soit complètement différent du concert auquel je viens d’assister dans le théâtre, la plongée y est immédiate. En quelques secondes seulement, le chant déchirant, la batterie cinglante et puissante, et le drone des guitares lourd et lent, me saisissent les entrailles. Quelques minutes plus tard, transportée d’un état d’hypnose légère, à celui d’une transe éperdue, les lieux autour de moi ont disparu. Je suis seule avec la musique, le coeur battant, l’esprit parti vers un ailleurs lointain, tout le corps vibrant.
Un set fiévreux et habité, parfait pour clore cette deuxième journée de festival en intensité et en beauté.
A écouter :
Bandcamp : https://bigbravesl.bandcamp.com
Facebook : https://www.facebook.com/bigbravemusic
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Mon live report de la troisième journée du festival à retrouver très bientôt ici.
Eglantine / Totoromoon
