Totoromoon au Dunk! Festival 2024 – Jour 2

Comme l’année dernière, et comme pour faire mentir les mauvais esprits qui disent qu’il ne fait jamais beau en Belgique, le ciel est toujours clair et les températures toujours très douces à Gand, en cette deuxième journée de festival. 15 groupes sont de nouveau attendus aujourd’hui sur les quatre scènes du Kunstencentrum Vooruit. Cette journée s’annonce chargée, avec une interview et un concert de plus que la veille prévus à mon programme, et le plus souvent seulement quelques minutes entre chacun pour me rendre d’une salle à l’autre. Comme l’année dernière, moi qui suis une grande gourmande, et dont les collègues savent que lorsque je me rends à la cantine, c’est exclusivement pour y manger des frites, il y a malheureusement aujourd’hui un risque que je ne puisse pas me nourrir des frites belges dont je raffole, mais uniquement des ondes musicales des concerts… mais cela s’annonce une fois de plus très beau, et j’ai hâte.

Si vous avez suivi Totoromoon avec assiduité ces deux dernières années, vous connaissez mon attachement particulier pour le groupe Goodbye Meteor. Venu du Nord de la France, le quatuor était invité par le festival à donner une interview dans le grand café Viernulvier, abritant une partie des festivités. Me voici donc, en ce début d’après-midi, dégustant un latte machiatto en écoutant mes post-rockeurs français préférés parler en anglais de leur premier album We Could Have Been Radiant paru chez Dunk! Records en février (ma chronique à lire ou à relire ici), mais aussi de leurs inspirations et de leurs projets. Un moment joyeux pour commencer en beauté cette deuxième journée.

Red Dwarf Star (Post-Rock – Etats-Unis)

Je me dirige ensuite vers la grande Concertzaal pour le premier concert de la journée. Il est celui de Red Dwarf Star, projet parallèle de Coley Dennis, guitariste du groupe américain Maserati dont le concert est prévu un peu plus tard dans la journée.

La sortie du premier album de Red Dwarf Star étant prévue prochainement, je n’ai pas eu l’occasion d’en écouter des extraits avant le festival, mais le descriptif qui en était fait dans le livret, mentionnant des racines musicales du début des années 90 s’appuyant sur des groupes comme Slowdive, Cocteau Twins ou encore The Cure, m’avait mis l’eau à la bouche.

Sur scène, le musicien désormais installé en Suisse est entouré des post-rockers allemands de jeffk, avec Steffen Ziemann à la batterie, Matthias Poese à la guitare et Börge Meyn à la basse. Amatrice de JeffK, je suis ravie de découvrir cette collaboration.

Si j’aime les sonorités shoegaze luxuriantes rappelant en effet les années 90 de mon adolescence, mêlées à des influences de rock alternatif américain de la même époque, je regrette que la batterie noie les guitares et couvre complètement la voix du chanteur, que je peine à percevoir. Mes tentatives de déplacements à différents endroits de la salle, y compris au plus près de la scène, n’y changeront malheureusement rien. Une petite déception qui n’entame malgré tout en rien l’atmosphère joviale du début de cette lumineuse journée.

A écouter :

Bandcamp : https://fortlowell.bandcamp.com/album/lady-aurora-borealis
Instagram : https://www.instagram.com/red_dwarf_star/?igsh=MWF1MnhzNGR1M2Fleg%3D%3D&utm_source=qr

Cloakroom (Shoegaze – Etats-Unis)

Un petit bol d’air au bord de l’eau plus tard, me voici de retour dans la Concertzaal pour le concert des Américains de Cloakroom, dont j’ai découvert la musique peu de temps auparavant. En apprenant ses douze années d’existence, et les trois albums et deux EPs qu’il a à son actif, je me suis étonnée de ne pas avoir eu connaissance du groupe plus tôt, tant la découverte des compositions auxquelles il a donné le jour m’a enchantée. Je suis donc très heureuse de pouvoir assister à l’une de ses performances live.

Et autant le concert précédent m’avait déçue, autant celui-ci fait honneur à toutes mes espérances. Car, comme sur les extraits que j’en ai écouté, et bien plus encore grâce à un son parfait et à des jeux de lumières étincelant, de son shoegaze vaporeux teinté d’un post-rock lumineux, Cloakroom me captive immédiatement.

Déployant juste ce qu’il faut de brume par-delà ses reliefs mélodiques, la musique du trio envoûte autant que la voix vaporeuse qui l’accompagne. La guitare et la basse, joliment rondes, s’entrelacent, la batterie virevolte, le chant transporte. L’ensemble, addictif et propice à l’évasion, emporte dans un beau voyage aux échappées aussi douces que sauvages. Magnifique plongée immersive dans une forme de rêve éveillé venant sauver des épreuves d’une dure réalité.

A écouter :

Bandcamp : https://cloakroom.bandcamp.com/
Facebook : https://www.facebook.com/cloakroomisaband/
Instagram : https://www.instagram.com/cloakroomisafuckinband/

CORECASS (Néo-Classique – Allemagne)

Sur les conseils avisés de mes amis, je quitte rapidement la Concertzaal pour monter vers le théâtre, où s’apprête à commencer le concert de la compositrice allemande Elinor Lüdde, alias CORECASS. Je n’ai pas eu l’occasion d’écouter la musique de CORECASS avant le festival, mais mes amis m’ayant convaincu qu’elle me plairait, je suis curieuse de la découvrir.

C’est accompagnée d’un guitariste que la multi-instrumentiste prend place sur la grande scène de la Theaterzaal. Autour d’elle, un clavier, un ordinateur, un micro et une imposante harpe forment une enceinte dans laquelle elle semble se lover à bonheur.

Depuis Hambourg, où elle réside, la musicienne a donné le jour ces dix dernières années à plusieurs albums solo en plus des nombreuses musiques de films qu’elle a créées. Tous composés, enregistrés et mixés par elle-même, ces opus sont une plongée à l’intérieure de son moi le plus profond. Elle y marie harpe, guitare, piano, orgue d’église, synthétiseurs, drones, cloches, enregistrements dans la nature et voix modifiées, pour donner le jour à des pièces où musique néo-classique se teinte de musique expérimentale, de dark ambient et de musique médiévale profane et liturgique.

Dans le faste à la fois majestueux et feutré de la Theaterzaal, ces pièces se révèlent aussi introspectives que cathartiques. Très évocatrices et fortes de vifs contrastes, elles font naître des émotions variées. De l’espoir au désespoir, de la joie au chagrin. Sur fond de vidéos aux paysages intrigants, la musicienne y alterne du clavier à la harpe, laissant çà et là planer sa voix aux échos réverbérés sur des boucles obsédantes. Les guitares lui répondent de leurs vibrations oscillant de légèreté en densité. L’ensemble surprend puis captive irrésistiblement. Une expérience aussi saisissante de grâce que d’originalité.

Le concert se chevauchant avec celui des Norvégiens de Spurv que j’adore et qui s’apprête à débuter, je suis malheureusement contrainte de quitter la salle avant la fin. Je le fais non sans la ferme intention de guetter les prochaines dates de concerts de CORECASS, car frustrée de n’avoir pu assister à celui-ci, qui m’a beaucoup plu, en entier.

A écouter :

Bandcamp : https://corecass.bandcamp.com/
Facebook : https://www.facebook.com/corecass
Instagram : https://www.instagram.com/corecass_sound/

Spurv (Post-Rock – Norvège)

D’un pas vif, je m’empresse de monter les escaliers qui me séparent de la Balzaal où se tient le concert de Spurv. J’y parviens juste à temps pour me faufiler dans mon recoin préféré, et m’adosser à un mur drapé d’un lourd rideau de velours. Alors que les six musiciens entrent en scène, je sens mon corps palpiter. Ce concert fait partie de ceux dont l’annonce m’a le plus ravie, et je suis prête à en savourer chaque note.

Spurv ou le moineau. Spurv ou l’attachement à la nature. Comme l’illustre une nouvelle fois la pochette du dernier album du groupe, « Brefjære ». Un papillon, des feuilles, une montagne s’élevant entre les nuages, des arbres ployant sous le vent, pour un album défiant les genres. Mariant post-rock, post-metal, musique traditionnelle et musique classique. Un album défiant les espèces. Faisant converser l’homme avec les animaux et la nature. Cette nature dont la formation norvégienne au nom de moineau tire depuis plus d’une décennie son inspiration. Cette nature à l’image de la musique que Spurv continue depuis plus d’une décennie, toujours plus brillamment, de créer. Tantôt forte, tantôt fragile. Toujours pleine d’incommensurables beautés. Et que je trépigne d’avoir la chance de retrouver en live grâce au Dunk! Festival.

Ce sont justement les deuxième et troisième morceaux de « Brefjære » qui ouvrent le set, En brennende vogn over jordet et Som skyer. Des morceaux que j’ai immédiatement aimés sur disque, et que je suis enchantée de découvrir sur scène. Après une introduction faite de nappes d’orgue majestueuses, viennent retentir les rythmes virevoltant de la batterie et les saturations vibrantes de basse et de guitares. Trompette, trombone, clavier et glockenspiel s’y joignent à bonheur, rappelant le talent de Spurv à transformer le post-rock en symphonies modernes intenses et émouvantes.

Si le groupe s’est entouré de nombreux artistes pour donner le jour à « Brefjære », mariant ses guitares électriques et acoustiques, basse, batterie, percussions, claviers, glockenspiel, trompette et trombone originels aux vibraphone, violons, alto et violoncelle, ainsi qu’à une chanteuse et à un choeur de quatorze musiciennes et musiciens, le vide qui aurait pu ressortir de l’absence de ces riches orchestrations sur scène ne se fait pas sentir une seconde. Et ce, grâce à la passion qui anime l’interprétation de chacun des six musiciens. La symphonie moderne écrite par Spurv avec ambition et talent est ici toujours forte d’une grandeur et d’une profondeur captivantes.

Après ces deux premiers morceaux à l’écrasante puissance, Gustav Jørgen Pedersen, principal guitariste et compositeur, s’adresse au public pour dire le bonheur du groupe d’être de retour au festival après sept ans d’absence. D’une voix enjouée, il explique également que leur ami Markus s’apprête à épouser la cousine d’un de leur guitaristes, et qu’il célèbre cet événement aujourd’hui à Gand. Pour fêter ça, il lui dédie le morceau suivant, Til en ny vår, balade romantique aérienne extraite de « Brefjære ».

Ce moment de douceur passé, s’élèvent dans la salle Og ny skog bæres frem et Fra dypet under stenen, deux de mes morceaux favoris extraits du sublime « Myra », précédent album de la formation norvégienne. Dans l’enchevêtrement des cuivres et des percussions, dans les envolées furieuses de guitares, les paysages sonores sont vastes, denses et changeants. Se laissant porter d’un lumineux espoir en un mélancolique désespoir baigné d’obscurité, mon corps ne cesse de vibrer et mon coeur de palpiter à mesure que se déroule ce concert, dont les ondes intenses et émouvantes viennent brillamment s’élever en majesté. Quarante minutes beaucoup trop courtes, mais fulgurantes de beauté.

A écouter :

Bandcamp : https://spurv.bandcamp.com/
Facebook : https://www.facebook.com/Spurvinnen/
Instagram : https://www.instagram.com/spurvband/

Maserati (Krautrock – Etats-Unis)

Trouvant finalement le temps de me sustenter après ce déluge d’émotions, c’est le ventre rassasié que je me dirige dans la Concertzaal pour le concert de Maserati, qui vient tout juste de commencer.

Ma première rencontre avec le groupe américain a eu lieu à Paris il y a deux ans. Je garde le souvenir d’en avoir aimé certains aspects et beaucoup moins d’autres, et suis curieuse de m’en faire aujourd’hui une nouvelle impression.

Ici, tout se joue autour de la batterie. Placée à l’avant centre de la scène, entourée d’une basse et de trois guitares, elle est à la fois l’ossature et la voix de chacun des morceaux. Construits autour d’elle, ceux-ci sont habités d’une puissante et vive énergie qui ne connaît pas d’accalmie. Entre math rock, krautrock, space rock, musique psychédélique et techno, Maserati se fait le créateur d’un style inclassable, qui peut ravir autant que déconcerter.

Comme il y a deux ans à Paris, je parviens à être transportée par certains passages, hypnotiques et chaloupés à souhait, mais totalement perdue par d’autres. Là où la batterie semble fracasser sans but, vidant pour moi l’ensemble de son sens. Sautant frénétiquement sur son tabouret, frappant avec une telle brutalité qu’il en renverse ses toms, le batteur mène par moments une danse qui en vient à m’agresser. Mais dans la fosse, que j’observe depuis la mezzanine, le public lui, est habité d’une effervescence déchaînée.

A écouter :

Bandcamp : https://maserati.bandcamp.com/
Facebook : https://www.facebook.com/MASERATIBAND
Instagram : https://www.instagram.com/maserati_band/

Arms and Sleepers (Musique électronique – Etats-Unis)

L’atmosphère est radicalement différente au concert d’Arms and Sleepers, auquel je monte ensuite assister dans la Balzaal.

Fondé à Boston en 2006 par Max Lewis et Mirza Ramic, c’est cette année la sixième apparition d’Arms and Sleepers au Dunk! Festival, sa première prestation remontant à 2011. Depuis quelques années, Max Lewis étant moins actif, Mirza Ramic porte le flambeau d’Arms and Sleepers sur les scènes du monde entier. Avec plus de 30 sorties à son actif, 2500 performances live et de nombreux placements à la télévision et au cinéma, le projet poursuit ainsi une route luxuriante et ne cesse de ravir ses fans. Je n’ai pour ma part pas eu l’occasion de le revoir depuis le printemps de l’année 2018, où il était venu de sa performance à la fois onirique et dansante sur une petite scène parisienne m’aider à m’évader d’une période de ma vie troublée.

Confortablement installée dans un petit coin de la salle, je me laisse ce soir transporter par ces pièces où nappes de claviers, beats électroniques et batterie organique sont survolés d’une voix qui parle, qui scande ou qui chante, invitant tantôt à voyager dans ses pensées les yeux fermés, tantôt à danser.

En fond de scène, un écran diffuse des images aux formes énigmatiques et scintillantes. D’introspection en exultation, laissant éclater son plaisir d’être sur scène, Arms and Sleepers offre un voyage sonore aussi intrigant que fascinant. Là où la musique électronique se fait forte d’une belle sensibilité.

A écouter :

Bandcamp : https://wearearmsandsleepers.bandcamp.com/
Facebook : https://www.facebook.com/armsandsleepers
Instagram : https://www.instagram.com/armsandsleepers/

This Will Destroy You (Post-Rock – Etats-Unis)

Vient enfin le moment qui est sans nul doute celui que je me réjouissais le plus de vivre durant ces trois jours de festival. Mes retrouvailles avec This Will Destroy You. This Will Destroy You ou la madeleine de Proust de mon histoire d’amour avec le post-rock. Une histoire d’amour qui dure depuis vingt ans. This Will Destroy You ou le tout premier live report de ma carrière de blogueuse. Celui qui m’a, il y a douze ans, donné envie d’écrire sur le post-rock et la musique live. This Will Destroy You ou ces compositions à la beauté minutieusement ciselée, et ce son à la fois délicat et puissant, abrasif et éthéré, qui en a inspiré tant d’autres dans son sillage. Et que je suis donc enchantée de retrouver dans le cadre merveilleux du Dunk! Festival.

Je suis montée m’installer à la mezzanine qui, en plus d’offrir un son optimal et une vue panoramique sur la belle Concertzaal, me permet de profiter des concerts en étant assise, et sans que les chutes de ma tension capricieuse ne m’en gâchent le plaisir. La salle est comble quand les lumières s’éteignent. Et il ne suffit que de quelques secondes pour que l’onde d’une clameur enjouée vienne la traverser à mesure que retentissent les premières notes du sublime premier morceau, The Mighty Rio Grande. This Will Destroy You commence fort en consacrant les dix premières minutes de son concert à l’un de mes titres préférés, extrait de son premier album. Un titre sensible et éthéré, au crescendo délicat et passionné. Lui succèdent l’épique et vaporeux Clubs et ses reliefs escarpés, puis le chaloupé et nouveau 04.03.21, que j’avais eu l’occasion de découvrir il y a quelques mois lors d’un concert du groupe à Paris, et enfin l’atmosphérique et languissant Dustism, extrait d’ « Another Language ».

Mais c’est quand s’élèvent les premières mesures de Weeping Window que je sens mon coeur bondir de nouveau. Weeping Window ou mon morceau favori du diptyque des « New Others » paru il y a six ans. Les guitares déployant de longues nappes réverbérées. Le clavier laissant s’élever une mélodie à la mélancolie tendre. La grosse caisse frappant au rythme des battements d’un coeur. Et, à la troisième minute, cette échappée dissonante de guitare déchirante. Le vertige grisant. Le pincement dans mon sternum. Les larmes sur mes joues. Sommet d’émotions mêlées, venues jaillir sans prévenir.

Sans transition, le groupe enchaîne avec l’un de ses plus anciens morceaux, le célèbre Quiet, ne laissant pas le temps à mes émotions de se démêler. La tristesse des blessures du passé. La fierté de la résilience. La félicité de l’instant présent. Threads et New Topia achèvent dans un brouillard de guitares et une envolée de batterie la première heure d’un set foisonnant de subtiles et tourbillonnants détails sonores, et magistralement interprété.

Jeremy Galindo, guitariste fondateur du projet, remercie alors chaleureusement le public et explique qu’en principe le moment est venu de quitter la scène avant le rappel. « Nous pourrions sortir de scène puis revenir, mais c’est plus sympa d’y rester » dit-il en riant. Sous un déluge de cris et d’applaudissements, le groupe nous gratifie alors de deux de ses monuments : A Three-Legged Workhorse et Little Smoke, prolongeant de vingt minutes supplémentaires, à la fois atmosphériques, hypnotiques et puissantes, le bonheur de ce concert. Sans nul doute la performance la plus intense de This Will Destroy You qui m’ait été donné de voir en vingt ans. Superbe.

A écouter :

Bandcamp : https://thiswilldestroyyou.bandcamp.com/
Facebook : https://www.facebook.com/thiswilldestroyyou
Instagram : https://www.instagram.com/thiswilldestroyyoumusic/

Mon live report de la troisième journée du festival à retrouver ici très bientôt.

Eglantine / Totoromoon


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